En cette Année de la Miséricorde,
je vous invite à lire ce que Monseigneur BATUT, évêque de Blois
nous dit de la Miséricorde.
« La miséricorde, 1ère partie »
Je vous propose de nous arrêter sur la miséricorde, qui est au cœur de notre année jubilaire. La miséricorde nous met en présence de ce qu’il y a peut-être de plus divin en Dieu ; quelque chose qui, chez nous, est souvent perçu et présenté comme une faiblesse, mais qui, en Dieu, est une capacité, un pouvoir : le pouvoir de se laisser toucher et affecter par le mal qui frappe l’homme ; et le pouvoir de guérir et de transformer ce qui semblait pour toujours perdu.
1/ Dieu se laisse toucher et affecter par le mal qui frappe l’homme.
La miséricorde commence par compatir.
La première parole de Dieu à Moïse, dont il va faire le libérateur de son peuple, est celle-ci : « j’ai vu, oui j’ai vu la misère de mon peuple ; je connais ses angoisses » (Exode 3, 7). Ce « j’ai vu et je connais » exprime le sentiment de celui qui compatit de l’intérieur à la misère de l’autre. Et cela ne vaut pas que de la misère subie, mais aussi du mal commis : devant le péché d’Israël,
« mon cœur en moi se retourne, dit Dieu, toutes mes entrailles frémissent ; je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, car je suis Dieu et non pas homme » (Osée 11, 8-9).
« Je suis Dieu et non pas homme » : répétons-le, la miséricorde de Dieu n’est pas une faiblesse, mais une force. Elle n’est pas une faille dans la justice, mais une modalité de sa justice. Dieu, pour le dire autrement, ne met pas sa justice entre parenthèses pour se montrer miséricordieux. Son but n’est pas d’amnistier, mais de pardonner. L’amnistie fait comme si le coupable n’avait pas commis de faute ; le pardon transforme le coupable en juste.
« La Miséricorde, 2ème partie »
Dieu n’a pas, ne peut pas avoir idée du mal. Et c’est justement parce qu’il n’a pas idée du mal qu’il ne peut pas non plus cesser d’aimer le pécheur. (Pape François) Dans son livre qui vient tout juste de paraître, le Pape François déclare que la miséricorde est « la carte d’identité de Dieu ». Comme nous l’avons rappelé la semaine dernière, la miséricorde est d’abord en Dieu la capacité de se laisser toucher, affecter par ce qui fait du mal à l’homme. C’est ce que le Pape appelle la compassion. Mais la miséricorde va plus loin que la compassion : elle a aussi la capacité de sauver l’homme de ce qui lui fait du mal, mais d’abord en s’exposant à ses assauts.
2/ Dieu s’expose volontairement aux assauts du mal
C’est Jésus, dit le Pape François, qui est « le visage de la miséricorde du Père ». Il va manifester sa miséricorde en sauvant l’humanité, mais il va le faire en commençant par s’exposer aux assauts du mal.
Vous connaissez la parabole dite « des vignerons homicides » (Matthieu 21, 33-41). En lisant cette parabole, on a l’impression que le maître de la vigne n’a aucun pressentiment de ce que vont faire les vignerons : quand ils maltraitent et tuent ses serviteurs, il est pris au dépourvu. Mieux encore : il leur envoie son fils unique en se disant, contre toute prudence : « ils respecteront mon fils »… Et, bien entendu, ils vont le tuer lui aussi. Le maître, c’est Dieu. Comment Dieu peut-il être aussi inconscient ? Nous avons là une vérité très profonde : Dieu n’a pas, ne peut pas avoir idée du mal. Et c’est justement parce qu’il n’a pas idée du mal qu’il ne peut pas non plus cesser d’aimer le pécheur. Si Dieu cessait d’aimer le pécheur, il se vengerait de lui. Mais si Dieu se vengeait, le mal aurait gagné la partie : Dieu se mettrait à penser selon la logique du mal, où la violence appelle toujours la violence.
C’est cela que l’esprit du mal ne peut pas comprendre. L’écrivain anglais C.S. Lewis le met en scène dans son livre Tactique du diable, et imagine ce qu’il dit : « Comment Dieu peut-il aimer les hommes ? Cela est impossible : il est un être à part ! Tout ce rabâchage sur l’amour doit couvrir tout autre chose. Pour les avoir créés et se donner tant de mal pour eux, il faut qu’il ait de bons motifs… [Mais] nous [les démons], nous avons complètement échoué dans notre enquête sur ses vrais motifs. Que pense-t-il faire avec eux ? C’est un problème insoluble !
« La miséricorde, 3ème partie »
Jamais nous ne le percevons autant qu’en contemplant Jésus sur la croix. En lui, nous découvrons une double attitude, envers le Père et envers nous.
3/ Dieu sauve le pécheur et le transforme en juste
La stratégie de miséricorde de Dieu consiste à laisser le mal se déchaîner contre lui sans se laisser gagner par lui. Jamais nous ne le percevons autant qu’en contemplant Jésus sur la croix. En lui, nous découvrons une double attitude, envers le Père et envers nous.
- Envers le Père d’abord : Jésus crucifié persiste jusqu’au bout dans la prière filiale alors même qu’il est abandonné et que les « douze légions d’anges » dont parle l’évangile (Matthieu 26, 53) ne viennent pas le sauver : « Père, entre tes mains je remets mon esprit ».
- Envers nous ensuite : alors que les hommes le mettent à mort, il persiste jusqu’au bout dans la prière fraternelle : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23, 33).
Concrètement, cela veut dire que sur la croix, et jusqu’au moment ultime, Jésus persiste à croire que le Père l’aime alors qu’il s’est identifié au dernier des pécheurs ; et il persiste pour la même raison à demander pardon pour les pécheurs, alors même que ce sont eux qui le crucifient.
Par conséquent, en regardant Jésus en croix, quelque chose doit se produire en nous. C’est la brisure du cœur qui fait dire au « bon larron » : « lui n’a rien fait de mal », et « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume » (Luc 23, 40-41). Celui qui dit ces paroles a compris que Dieu n’est pas là où il devrait être, mais qu’il est là où nous devrions être : sur le lieu de la mort, et de la mort éternelle. Mais si Dieu, en Jésus, est venu s’établir sur ce lieu de la mort et de la séparation, c’est pour réunir à nouveau ce qui était séparé et nous donner accès à son royaume.
Ainsi, comme le dit l’apôtre Paul, « là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé » (Romains 5, 20) : la miséricorde a vaincu le mal et la désespérance qu’il entraîne, et cela pour toujours. La croix de Jésus est la fontaine de la miséricorde.
Mgr Jean-Pierre BATUT, évêque de Blois.
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